Ici,
la règle numéro un, c’est « débrouille-toi », plus
souvent nommée article 15. Si certains Burundais semblent dénués
de tout sens pratique quand il s’agit de faire manger leurs gosses,
d’autres ont plein de bonnes idées pour arrondir leurs fins de
mois. Par exemple notre gardien Philbert, que nous payons 35€ par
mois, soit le double du salaire d’un gardien ordinaire, et qui est
pourvu d’une femme qui tient une petite boutique dans laquelle
elle vend des arachides (ici, le mot « cacahuète » n’a
pas réussi à percer) et de deux filles en bas-âge, qui
représentent 0,2% du nombre d’enfants que Philbert voudrait. Afin
de mettre des haricots dans la pâte de manioc, Philbert s’est
décidé à élever deux cochons qu’il revendra à bon prix dès
qu’ils auront grossi. Mais pour acheter les deux pourceaux, il lui
a fallu un crédit initial qu’il nous a demandé de la sorte. (La
lettre commence à dater mais il fallait que je la partage avec
vous.)
Le
19/04/2012
N. Philbert
Commune :
Musaga
Quartier :
Kamesa
A mes
employeurs
Objet :
Demande du crédit
Excellences
employeurs, j’ai l’honneur de solliciter au près de votre
bienveillance un crédit de soixante milles francs burundais (60.000
Fbu) car j’ai un projet que je voudrai mettre en œuvre une fois
que j’aurai reçu ces moyens que je vous demande.
Faite, je vous prie de m’accorder cette action de bienveillance. A
ma part, j’approuve de vous rembourser cette somme dans ces deux
mois qui vont suivre celui-ci d’Avril, c’est-à-dire celui de Mai
et celui de Juin (dans les deux tranches).
Je
vous remercie d’avance pour votre bonne considération de mes
demandes les plus cordiaux.
Votre
employé N. Philbert
Voyez
un peu le style horriblement ampoulé que prennent les écrivains
publics (encore que pour Philbert, nous n’excluons pas la
possibilité qu’il l’ait écrite lui-même) quand il s’agit de
rédiger des lettres un tant soit peu officielles. Nous avons ainsi
accordé un autre prêt à Philbert et un à Aimé pour que chacun
puisse s’acheter un vélo et rallier plus rapidement notre maison
et leur village, Kamesa, à 7km d’ici. (Nous avons d’ailleurs
rencontré les deux cochons de Philbert quand nous sommes allés lui
rendre visite chez lui, un blanc et un noir, si c’est pas lutter
contre le racisme ça !) De même, lorsque les tôles du toit de
la maison de Juvénal, notre ancien gardien, se sont écroulées, il
nous a écrit une lettre du genre, qui commençait par « J’ai
l’honneur de m’adresser auprès de votre haute autorité pour
solliciter un crédit… ». Toujours très drôle à la
lecture.
L’autre
jour en revanche, mes étudiants de l’après-midi m’ont demandé
de leur apprendre à écrire des lettres. J’ai été contrainte de
leur expliquer que je serais bien incapable d’écrire une lettre
officielle au Burundi…
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