jeudi 22 novembre 2012

Article 15


Ici, la règle numéro un, c’est « débrouille-toi », plus souvent nommée article 15. Si certains Burundais semblent dénués de tout sens pratique quand il s’agit de faire manger leurs gosses, d’autres ont plein de bonnes idées pour arrondir leurs fins de mois. Par exemple notre gardien Philbert, que nous payons 35€ par mois, soit le double du salaire d’un gardien ordinaire, et qui est pourvu d’une femme qui tient une petite boutique dans laquelle elle vend des arachides (ici, le mot « cacahuète » n’a pas réussi à percer) et de deux filles en bas-âge, qui représentent 0,2% du nombre d’enfants que Philbert voudrait. Afin de mettre des haricots dans la pâte de manioc, Philbert s’est décidé à élever deux cochons qu’il revendra à bon prix dès qu’ils auront grossi. Mais pour acheter les deux pourceaux, il lui a fallu un crédit initial qu’il nous a demandé de la sorte. (La lettre commence à dater mais il fallait que je la partage avec vous.)


Le 19/04/2012
N. Philbert
Commune : Musaga
Quartier : Kamesa

A mes employeurs
Objet : Demande du crédit

Excellences employeurs, j’ai l’honneur de solliciter au près de votre bienveillance un crédit de soixante milles francs burundais (60.000 Fbu) car j’ai un projet que je voudrai mettre en œuvre une fois que j’aurai reçu ces moyens que je vous demande.
Faite, je vous prie de m’accorder cette action de bienveillance. A ma part, j’approuve de vous rembourser cette somme dans ces deux mois qui vont suivre celui-ci d’Avril, c’est-à-dire celui de Mai et celui de Juin (dans les deux tranches).
Je vous remercie d’avance pour votre bonne considération de mes demandes les plus cordiaux.

Votre employé N. Philbert


Voyez un peu le style horriblement ampoulé que prennent les écrivains publics (encore que pour Philbert, nous n’excluons pas la possibilité qu’il l’ait écrite lui-même) quand il s’agit de rédiger des lettres un tant soit peu officielles. Nous avons ainsi accordé un autre prêt à Philbert et un à Aimé pour que chacun puisse s’acheter un vélo et rallier plus rapidement notre maison et leur village, Kamesa, à 7km d’ici. (Nous avons d’ailleurs rencontré les deux cochons de Philbert quand nous sommes allés lui rendre visite chez lui, un blanc et un noir, si c’est pas lutter contre le racisme ça !) De même, lorsque les tôles du toit de la maison de Juvénal, notre ancien gardien, se sont écroulées, il nous a écrit une lettre du genre, qui commençait par « J’ai l’honneur de m’adresser auprès de votre haute autorité pour solliciter un crédit… ». Toujours très drôle à la lecture.

L’autre jour en revanche, mes étudiants de l’après-midi m’ont demandé de leur apprendre à écrire des lettres. J’ai été contrainte de leur expliquer que je serais bien incapable d’écrire une lettre officielle au Burundi…

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